En d’autres mots, quel est l’impact du biberon/de l’allaitement/de l’alimentation précoce sur le développement orofacial. Je parle ici de palais et d’occlusion (le rapport entre les dents).
Nouvel article, petit celui-là. Pas moins documenté et pertinent cela dit!
Par rapport à ce qui semble une épidémie d’élargisseur du palais et de pose de broches, je vous propose ici d’explorer la relation entre la malocclusion (dents croches, décalées ou qui manquent de place) et le mode d’alimentation (allaitement, biberon, alimentation précoce).
Voici les résultats et mes interprétations de l’article de Chen et coll., 2015 (réf. complète au bas).
Un pourcentage accru d’occlusion croisée postérieure et de manque d’espace maxillaire (pas d’espace de l’arcade supérieure/palais étroit ou ogival) a été observé chez les enfants allaités pendant moins de 6 mois. Ces enfants ont aussi montré une probabilité plus élevée de besoin non nutritionnel à téter (tétine/suce). Ces résultats semblent confirmer (je me garde une marge de manœuvre ici) une hypothèse qui s’était formée dans mon esprit à force de lectures. C’est comme si le corps cherchait à compenser le manque d’effort (l’alimentation au biberon est plus facile au niveau de la musculature orofaciale) par un excès de succion, sans toutefois y parvenir puisque les conséquences sur le développement orofacial sont observables.
La prévalence de l’occlusion croisée postérieure et de l’absence d’espace maxillaire (palais étroit ou ogival) n’a pas augmenté de manière significative chez les enfants ayant des habitudes de succion de la tétine ou des doigts, par rapport aux enfants sans ces habitudes.
Cela suggère que la succion non nutritive n’agit pas en synergie avec la pratique d’alimentation pour favoriser le développement des caractéristiques occlusales/arcades positives mentionnées ci-dessus. Ce que ça veut dire, c’est que contrairement à la croyance populaire, la suce ne serait pas la cause du palais ogival avant 1 an. Plutôt, l’absence de travail musculaire suffisant (offert par l’allaitement seulement) entraîne un besoin de succion non-nutritive (comblé par la tétine) et on observe alors le développement de malocclusions et de palais étroits/ogivaux.
Cela dit, on parle des tous petits, car une habitude de sucer la tétine qui durait au-delà d’un an était associée à un surjet excessif (les dents d’en haut plus avancées), à l’absence d’espace de développement de la voûte palatine. Alors qu’une habitude de succion des doigts qui durait au-delà d’un an était associée à une béance antérieure (trou entre les dents du haut et celles du bas).
Qu’est-ce que l’allaitement a de supérieur sur le plan fonctionnel?
La succion du sein sollicite fortement la musculature périorale. L’effort répétitif constant favorise le développement correct de ces muscles, en augmentant leur tonus et en assurant l’établissement d’une fonction orale correcte. De ce fait, la durée de l’allaitement naturel a un effet positif sur la mobilité des structures orofaciales (Medeiros et coll., 2009). C’est pourquoi un sevrage précoce peut entraîner une activité musculaire périorale insuffisante, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la déglutition, la respiration et la parole, ainsi qu’une malocclusion (Neiva et coll., 2003).
Warren et coll. ont constaté que l’allaitement facilite le développement normal du palais et atténue la formation d’un palais profond et voûté (Warren et coll., 2001). Quant à eux, Vigiano et coll. et Karjalainen et coll. ont rapporté que l’allaitement était un facteur de protection contre le développement de l’occlusion croisée postérieure dans la dentition de lait (Karjalainen et coll., 1999 ; Viggiano et coll., 2004).
De même, Kobayashi et coll. ont rapporté qu’un allaitement exclusif prolongé peut fortement réduire la prévalence de l’occlusion croisée postérieure, et les enfants qui ont été allaités pendant plus de 12 mois avaient un risque 20 fois plus faible d’occlusion croisée postérieure par rapport aux enfants qui n’ont jamais été allaités. De plus, leur risque était 5 fois plus faible que ceux qui ont été allaités pendant 6 à 12 mois (Kobayashi et coll., 2010).
Conclusion
Ces résultats ne sont donc pas isolés, mais au contraire, corroborés maintes et maintes fois. Bien que l’incidence absolue de l’occlusion croisée postérieure soit faible, ses effets nocifs sur le schéma du cycle de mastication, sur la croissance et le développement normal du système orofacial sont bien réels (Sever et coll., 2011). Voilà qui donne matière à réflexion!
Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste
Première photo: occlusion croisée postérieure
Deuxième photo: open-bite
Troisième photo: palais ogival
Bibliographie
Chen, X., Xia, B., & Ge, L. (2015). Effects of breast-feeding duration, bottle-feeding duration and non-nutritive sucking habits on the occlusal characteristics of primary dentition. BMC pediatrics, 15, 46. https://doi.org/10.1186/s12887-015-0364-1
Karjalainen S, Ronning O, Lapinleimu H, Simell O. Association between early weaning, non-nutritive sucking habits and occlusal anomalies in 3-year-oldFinnish children. Int J Paediatr Dent. 1999;9(3):169–73.
Kobayashi HM, Scavone HJ, Ferreira RI, Garib DG. Relationship between breastfeeding duration and prevalence of posterior crossbite in thedeciduous dentition. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2010;137(1):54–8.21.
Medeiros AP, Ferreira JT, Felicio CM. Correlation between feeding methods, non-nutritive sucking and orofacial behaviors. Pro Fono; 21(4), 315-9
Neiva FC, Cattoni DM, Ramos JL, Issler H. Early weaning: implications to oralmotor development. J Pediatr (Rio J). 2003;79(1):7–12
Sever E, Marion L, Ovsenik M. Relationship between masticatory cyclemorphology and unilateral crossbite in the primary dentition. Eur J Orthod.2011;33(6):620
Viggiano D, Fasano D, Monaco G, Strohmenger L. Breast feeding, bottlefeeding, and non-nutritive sucking; effects on occlusion in deciduousdentition. Arch Dis Child. 2004;89(12), 1121-3
Warren JJ, Bishara SE, Steinbock KL, Yonezu T, Nowak AJ. Effects of oralhabit’s duration on dental characteristics in the primary dentition. J Am Dent Assoc. 2001;132(12):1685–93. 1726
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