Le développement de la lecture se fait par un processus dans lequel les représentations phonologiques des mots (préexistantes et déjà liées à la représentation sémantique) sont mises en lien avec le nouveau code orthographique.
Ce que ça veut dire c’est que l’enfant connait le mot locomotive, il sait que c’est le wagon du devant, celui qui tire le train, mais ne l’a jamais vu écrit. S’il reconnait le mot et le lit comme il faut il va pouvoir se dire: Ah! je connais ça!
Si en voyant le mot locomotive l’enfant décode bien les sons (décodage phonologique) parce qu’il a bien appris les correspondances graphèmes-phonèmes (l-o-c-o-m-o-t-i-v-e), i.e. qu’il connait le son des lettres ou groupes de lettres (ex. ain dans train), il pourra alors lié cette suite de lettres/graphèmes à la représentation mentale de locomotive et à son sens.
Chaque fois qu’il lit correctement une lettre, un groupe de lettres ou un mot (décodage réussi) c’est une opportunité de créer une connexion directe entre la représentation phonologique (j’ai entendu le mot locomotive) et orthographique (je sais maintenant comment ça s’écrit). Cet appareillage permet la construction d’un lexique orthographique (liste mentale de comment s’écrivent les mots).
Ainsi, l’apprentissage de quelques correspondances permet de lire de nombreux mots, ce qui permet le développement du lexique (mots connus et utilisés) et de l’orthographe.
Les résultats d’une récente étude visant à modéliser l’apprentissage de la lecture à l’aide d’un ordinateur ont montré que les déficits du traitement phonologique avaient un effet fortement négatif sur la performance de généralisation (Ziegler et al., 2014). Le traitement phonologique c’est entre autres la conscience phonologique (rimes, élision de syllabe ou identification de phonème dans un mot…), la discrimination (est-ce que ces deux sons étaient identiques ou différents), l’identification (est-ce que j’ai entendu k ou t, è ou in…).
Il n’est pas difficile de comprendre que lorsque le traitement phonologique est atteint, le processus d’apprentissage en lecture est ralenti. Ces habiletés (phonologiques) qui sont travaillées en rééducation. Bien sûr, il faut s’assurer que l’apprentissage des correspondances lettres/son (au fait o, ch fait chhh…) est acquis, mais c’est à mon avis secondaire aux habiletés phonologiques.
En bureau j’apprends aussi aux enfants les patrons orthographiques et règles graphotactiques pour accélérer leur apprentissage. Les patrons orthographiques sont des règles qui permettent d’écrire une multitude de mots. Par exemple, lorsqu’un mot débute par un a, la consonne qui suit sera presque toujours doublée (accommoder, accélérer, aller, arracher, appeler…).
Les règles graphotactiques sont des trucs permettant de bien orthographier les mots en fonction des lettres autour ou de sa position dans le mot. L’exemple le plus connu est sans doute le n qu’on remplace par m devant un p, un b ou un autre m. D’autres sont cependant moins connus comme on va écrire an plutôt que en quand juste avant ou après le son an il y a un c, g, ou un h. C’est ainsi qu’on peut écrire écran et non écren, grange et non grenge, change et non chenge…
J’ajoute ici que des scientifiques se sont penchés sur la séquence appropriée d’apprentissage des graphies (lettres ou groupes de lettres chacune associées à un son). Bien qu’on fonctionne actuellement au Québec par un apprentissage thématique i.e. qu’à l’Halloween on apprend sorcière, squelette, citrouille… il serait plus pertinent et surtout efficace de fonctionner par fréquence. Une belle liste a été rédigé par Sprenger-Charolles (2017) qui nous apprend par où commencer et quoi enseigner à chaque étape en tenant compte de la fréquence de la graphie dans les mots en français (par exemple au est plus fréquent que sc).
Pour les profs qui seraient entrain de lire ceci, j’offre des rencontres de formation/mentorat. Vous m’arrivez avec vos questionnements, on en jase et j’en profite pour vous outiller. Je dis ça comme ça, mais tous les intervenants scolaires que j’ai ainsi aidés sont sortis enchantés de mon bureau. Surtout, ne me croyez pas sur parole, venez vérifier. L’orthophoniste c’est aussi votre allié à vous!
Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste
Article scientifique : Modelling reading development through phonological decoding and self-teaching: implications for dyslexia. (Ziegler et al., 2014)
Article vulgarisé duquel est inspiré ce billet et d’où j’ai tiré 2-3 phrases : Comment les enfants apprennent à lire : Des ordinateurs testent l’hypothèse du décodage phonologique et du mécanisme d’apprentissage de la lecture – Tout cuit dans le bec (wordpress.com)
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