Plusieurs parents, désireux de faire parler leur enfant, vont poser des questions à répétition. L’intention est bonne, mais le moyen s’avère peu efficace pour susciter les échanges. Certains l’auront déjà remarqué. Voici un échange fictif pour vous illustrer mon propos:
Parent : Qu’est-ce que tu as fait à la garderie?
Enfant : Sais pas.
Parent : Comment ça tu ne sais pas? Tu dois bien avoir joué à quelque chose? Et Émilie est-ce qu’elle est revenue ou elle est encore malade? T’as pu terminer ton dîner aujourd’hui avant d’aller jouer?
Enfant : Oui.
Parent : Tu te souviens qu’on doit aller chez grand-maman ce soir, tu vas te changer en arrivant, tu vas faire vite hein?
Enfant : Oui.
Parent : Papa t’as-tu dit ce qu’il était en train de construire pour toi dans la cour? Un carré de sable!
Enfant : Yeah! Château (prononcé tato, plus probablement)!
Parent : Oui, tu vas pouvoir faire un château de sable, comme à la plage l’été dernier, tu te souviens?
Enfant : Oui.
Les bons coups : Dans cet échange, le parent est intéressé à son enfant, tente d’en apprendre davantage sur sa journée, partage les informations pertinentes pour la suite et se remémore des moments agréables passés en famille. Vous conviendrez que toutes ces intentions sont adéquates.
Les moins bons coups : Tout le poids de l’échange repose sur le parent, les phrases sont trop longues et on peut aisément imaginer que l’enfant n’a pas le temps de répondre. À ce sujet, notez qu’un enfant a besoin de plus de temps qu’un adulte pour récupérer les informations en mémoire, élaborer sa pensée, la formuler correctement dans sa tête puis l’énoncer. Aussi, le type de question (fermée : oui/non) ne suscite que peu de verbalisation de la part de l’enfant alors que le but est justement de le faire parler. Finalement, l’échange est peu naturel puisqu’il est rare que nous utilisions exclusivement des questions dans nos interactions sociales.
Revoici donc l’échange revu et amélioré
Parent : Qu’est-ce que tu as fait à la garderie? Le parent utilise ici une question ouverte. Quoique ce type de question permette de faire parler l’enfant plus librement, elle est plus difficile aussi pour l’enfant qui doit préciser sa pensée. Vous pourriez, si la question ouverte ne fonctionne pas, utiliser une question à choix comme : Est-ce que tu as joué au camion ou au ballon aujourd’hui? Pour susciter une réponse. Mais les deux types de questions (ouvertes et à choix) sont de bonnes stratégies.
Autre stratégie : Informez-vous auprès de l’éducatrice concernant la journée et questionnez votre enfant avec ces informations en tête. Exemple : Qu’avez-vous fait pour la fête d’Olivia aujourd’hui? Raconte-moi ce qui est arrivé avec la balançoire tout à l’heure. Ainsi pisté, votre enfant n’a pas à se remémorer toute la journée et l’organiser chronologiquement pour vous parler de sa journée.
Enfant : Sais pas. Ballon avec Émile pis Léa, pis moi lancé fort fort fort.
Parent : Comment ça tu ne sais pas? Tu dois bien avoir joué à quelque chose? Et Émilie est-ce qu’elle est revenue ou elle est encore malade? Tu as pu terminer ton dîner aujourd’hui avant d’aller jouer?
– Ici, l’enfant va répondre à une seule question, parce que c’est ce qui est à sa portée. Sa mémoire à court terme ne permettant pas de retenir toutes les questions ayant été posées, l’enfant va soit répondre à la première question (en psychologie on parle d’effet de primauté) ou à la dernière (effet de récence).
– Aussi, je suggèrerais de poser une question à la fois et d’attendre plusieurs secondes pour laisser le temps à votre enfant de planifier sa pensée et l’organiser dans une structure syntaxique accessible (phrase). Il apprend tout juste à le faire, il a besoin de temps.
– De plus, vous pourriez réduire la longueur de vos énoncés. Il faut tenter de se rapprocher de la longueur que fait l’enfant. La règle générale est : longueur de l’enfant + 1 mot. Pour la dernière question, l’énoncé réduit pourrait ressembler à ceci : As-tu terminé ton dîner?
– Changez le type de question. Ici, la question initiale peut être répondue par oui ou non, ce qui limite l’échange conversationnel. L’usage d’une question ouverte comme : Qu’est-ce que tu as mangé pour dîner? situe l’enfant dans le sujet tout en exigeant de manière naturelle, une réponse.
L’enfant pourrait de lui-même spécifier qu’il a tout terminé et si ce n’est pas le cas, on peut suivre une question ouverte d’une question oui/non sans problème puisque l’échange est déjà obtenu en quantité suffisante.
Enfant : oui. Macaroni encore.
Parent : Tu te souviens qu’on doit aller chez grand-maman ce soir, tu vas te changer en arrivant, tu vas faire vite hein? Plutôt qu’une autre question, allez-y d’un commentaire. C’est plus typique d’un échange naturel Ex. : J’ai hâte de voir grand-maman tantôt. J’espère qu’on jouera aux cartes.
Enfant : ok. Ici, le commentaire permet à l’enfant de choisir ce qu’il va vous dire. Le sujet est donné, mais sans plus de contrainte. Ex. : Mamie moi lire histoire dinosaure.
Voilà quelques stratégies utiles qui vous feront prendre conscience qu’en voulant faire parler nos enfants, on enlève bien souvent le caractère naturel de nos échanges avec eux et on passe ainsi un peu à côté du but recherché. J’espère qu’en lisant ceci les parents comprendront que l’intention n’est évidemment pas de juger vos échanges avec vos enfants, mais plutôt de vous d’améliorer ce que vous faites déjà. Je dis souvent aux parents qu’ils sont des parents 4 étoiles au niveau langagier, que mon travail consiste à leur donner de quoi aller chercher la 5e étoile.
Résumé des stratégies utilisées :
- Réduction de la longueur et de la complexité des énoncés
- Questions ouvertes ou à choix plutôt que fermées oui/non
- Laisser le temps à l’enfant de planifier sa pensée et de répondre
- Utiliser des commentaires en alternance des questions
- Garder l’aspect naturel de l’échange
- Parlez aussi de vous, de votre journée pour répartir le poids de l’échange
Pour de l’aide spécifique et plus de stratégies, une rencontre d’évaluation des besoins est l’outil par excellence. Il s’agit d’une rencontre informelle durant laquelle je vous guide, je réponds à vos questions, vous donne des idées d’activités en fonction de l’âge de l’enfant et vous informe de ce qui est attendu ou non pour l’âge. On discute et on joue, tout simplement. C’est souvent nécessaire d’avoir un avis juste et avisé quant au développement de notre enfant. Nos proches, quoique bien intentionnés, y vont généralement de conseils divers : ex. : Inquiète-toi pas, j’étais pareil à son âge, ça va rentrer dans l’ordre/L’entrée en maternelle va le faire débloquer…
Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., orthophoniste
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