Les données scientifiques de haute validité (revue systématique, méta-analyse) se font rares lorsqu’on tente de démontrer l’impact de la freinotomie ailleurs que sur l’allaitement. C’est un problème bien réel lorsqu’en clinique j’observe une restriction de la mobilité de la langue, mais que les ORL vers qui je réfère ne peuvent s’appuyer sur des preuves scientifiques de qualité suffisante pour justifier l’intervention chirurgicale.
J’ai donc fait l’exercice de chercher, lire et résumer les preuves scientifiques actuelles ; je vous présente ici les liens qui ont été établis entre frein lingual restrictif (ankyloglossie) et sommeil.
L’ankyloglossie a été associée à l’apnée du sommeil chez les enfants et les adultes (Huang, Berkowski et Guilleminault, 2015 ; Guilleminault et Huseni, 2016 ; Zaghi et al., 2019). Pourquoi vous demandez-vous ?
Eh bien parce que cette attache trop serrée (frein lingual restrictif) empêche la langue de reposer sur le palais. Ce manque d’aspiration de la langue au palais, surtout pendant le sommeil où le fait d’être sur le dos fait reculer la base de la langue et où il y a relâchement musculaire important (atonie musculaire nocturne), permet à la langue de tomber dans le pharynx et de restreindre ou obstruer les voies respiratoires (réduis l’ouverture ou la bloque). Le résultat étant de conduire à des troubles respiratoires du sommeil, dont l’apnée obstructive du sommeil (Zaghi et al. 2019 ; Baxter et al. 2018).
Dans la revue systématique de Camacho et al., (2015), il a été démontré que la thérapie myofonctionnelle permet à la langue de bien reposer sur le palais et donc, l’empêche d’obstruer les voies respiratoires. Dans cette revue systématique, les enfants ont atteint un taux de 62 % diminution de l’indice d’apnée-hypopnée (IAH), et les adultes une diminution de 50 % de l’IAH. Toutefois, et je suis bien placée pour le savoir, la thérapie myofonctionnelle est limitée par les structures. L’ankyloglossie est l’une de ces limitations (Zaghi et al., 2019).
L’objectif principal du traitement chirurgical (freinectomie) est d’éliminer les facteurs de risque d’un collapsus des voies aériennes supérieures, réduisant ainsi le risque de persistance du SAOS.
Or, l’approche préconisée actuellement au Québec est la freinotomie plutôt que la freinectomie, et exclusivement chez les nouveau-nés en contexte d’allaitement difficile. La différence ? La freinectomie se fait sous anesthésie générale chez les enfants ou locale chez les adultes et dégage la langue antérieurement (frein) et postérieurement (membrane) pour une mobilité accrue, notamment en élévation. La freinotomie consiste à couper le tissu conjonctif avec des ciseaux ou un scalpel, sans anesthésie pour relâcher la langue. Cependant, cette méthode de traitement laisse souvent un fascia épais intact, un amas de tissus cicatriciel sur le freinulum et ne permet pas à la langue d’atteindre une gamme complète de mouvements et de fonctions dont l’élévation nécessaire pour le développement du palais osseux, des fosses nasales, du maxillaire et des fonctions de mastication, déglutition (Ghaheri, Cole & Mace, 2018). Le résultat ? Les dents se chevauchent, l’occlusion (comment ferment les dents ensemble) est dysfonctionnelle, on pose un élargisseur du palais et des broches à l’enfant. Voir les articles L’impact insoupçonné d’un frein lingual restrictif, L’orthophoniste à la rescousse du sourire Pourquoi les dents manquent de place pour en apprendre davantage sur le sujet.
Pour que le développement maxillo-facial (mâchoires, visage, fosses nasales), orthodontique (occlusion dentaire) et les fonctions : la mastication, la déglutition, la parole et la respiration (troubles du sommeil) soient optimaux, la langue doit être libérée complètement a.k.a. freinectomie.
Mentionnons avant d’aller plus loin l’importance d’adjoindre à la freinectomie la thérapie myofonctionnelle pour assurer la stabilisation des effets du traitement (éviter que le frein ne se rattache encore plus court), restaurer le mode de ventilation nasal et les patrons neuromusculaires de mastication et de déglutition.
C’est plutôt méconnu, mais une limitation fonctionnelle de la langue peut conduire à des schémas de déglutition et de mastication différents, provoquant une mauvaise coordination des muscles et une position antérieure de la langue avec de possibles malocclusions (Carter el al., 2010 ; Guilleminault et al., 2016 ; Meenakshi & Jagannathan, 2014; Di Carlo et al., 2019). Par conséquent, il est impératif que les pédiatres, orl, dentistes, orthodontistes, chirurgiens maxillo-faciaux et orthophonistes soient au courant de ces faits et liens. Bien sûr, des preuves scientifiques de haute validité sont encore nécessaires, mais il ne faut pas rejeter et nier celles dont on dispose déjà.
Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste
Références :
Baxter, R., Merkel-Walsh, R., Baxter, B. S., Lashley, A., & Rendell, N. R. (2020). Functional Improvements of Speech, Feeding, and Sleep After Lingual Frenectomy Tongue-Tie Release: A Prospective Cohort Study. Clinical Pediatrics, 59(9–10), 885–892. https://doi.org/10.1177/0009922820928055
Baxter R, Agarwal R, Musso M, et al. Tongue-Tied: How a Tiny String Under the Tongue Impacts Nursing, Speech, Feeding, and More. 1st ed. Alabama Tongue-Tie Center; 2018.
Camacho M, Certal V, Abdullatif J, et al. Myofunctional therapy to treat obstructive sleep apnea: a systematic review and meta-analysis. Sleep. 2015;38:669-675
Chang, S.J.; Chae, K.Y. Obstructive sleep apnea syndrome in children: Epidemiology, pathophysiology, diagnosis and sequelae. Korean J. Pediatr. 2010, 53, 863–871.
Ghaheri BA, Cole M, Mace JC. Revision lingual frenotomy improves patient-reported breastfeeding outcomes: a prospective cohort study. J Hum Lact. 2018;34:566-574.
Guilleminault C, Huseni S, Lo L. A frequent phenotype for paediatric sleep apnoea: short lingual frenulum. ERJ Open Res. 2016;2:00043-2016. doi:10.1183/23120541.00043- 2016
Huang YS, Quo S, Berkowski JA, Guilleminault C. Short lingual frenulum and obstructive sleep apnea in children. Int J Pediatr Res. 2015;1:1.
Zaghi S, Valcu-Pinkerton S, Jabara M, et al. Lingual frenuloplasty with myofunctional therapy: exploring safety and efficacy in 348 cases. Laryngoscope Investig Otolaryngol. 2019;4:489-496
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