Rééducation myofonctionnelle et pathologies respiratoires : un regard croisé sur l’asthme, la rhinite et la respiration buccale

Introduction

Les troubles myofonctionnels orofaciaux (TMO) regroupent un ensemble de dysfonctions touchant les muscles de la langue, des lèvres, du visage et du pharynx. Souvent liés à des habitudes orales inadaptées comme la respiration buccale, ces troubles peuvent avoir des répercussions multiples : sur la posture, l’occlusion dentaire, le sommeil et surtout la fonction respiratoire.

Parmi les conditions fréquemment associées aux TMO figurent l’asthme et la rhinite allergique — deux affections inflammatoires chroniques des voies respiratoires. Or, plusieurs études récentes montrent que la rééducation myofonctionnelle pourrait améliorer la ventilation et encourager le retour à une respiration nasale, ouvrant la voie à une prise en charge plus intégrée.

Une boucle dysfonctionnelle : respiration buccale, asthme et rhinite

Chez l’enfant, l’asthme et la rhinite allergique perturbent la perméabilité nasale, poussant souvent à une respiration buccale de compensation, qui tend à devenir chronique. Cette respiration par la bouche entraîne une cascade de conséquences : position basse de la langue, ouverture labiale au repos, modification posturale cervicale et hypotonie des muscles oro-faciaux (Gomes et al., 2009).

Or, la respiration buccale n’est pas anodine : elle altère la dynamique ventilatoire, favorise les collapsus pharyngés et aggrave les symptômes asthmatiques, surtout en contexte inflammatoire (Camacho et al., 2018). Elle expose aussi directement les voies respiratoires inférieures à un air froid, sec et non filtré, ce qui irrite les muqueuses et accentue l’hyperréactivité bronchique (Bates et al., 2017 ; Subspecialty Group of Respiratory Diseases, 1996).

À l’inverse, la respiration nasale joue un rôle de filtre : elle réchauffe, humidifie et purifie l’air inspiré, limitant ainsi les effets inflammatoires sur l’arbre bronchique (ERS Task Force, 2014). Restaurer une respiration nasale efficace, par des méthodes comme Buteyko ou la rééducation nasale fonctionnelle, améliore le contrôle de l’asthme, réduit la fréquence des exacerbations et améliore les paramètres ventilatoires (Yamaguchi et al., 2020 ; Soares et al., 2024).

Quant à la rhinite allergique, elle contribue au cercle vicieux : l’obstruction nasale chronique favorise une respiration buccale persistante, source d’hyperventilation, de dysfonction tubaire et d’aggravation des troubles associés (déglutition atypique, otites, troubles articulatoires).

Myofonction et perméabilité nasale : des liens démontrés

Une étude observationnelle d’Araújo et al. (2020) menée chez 43 enfants et adolescents atteints d’asthme et/ou de rhinite allergique révèle un lien clair entre les altérations myofonctionnelles et la perméabilité nasale. Les enfants présentant une mauvaise posture mandibulaire ou des tensions faciales à la déglutition affichaient un débit inspiratoire nasal de pointe (PNIF) significativement réduit. Autrement dit, les dysfonctions myofaciales semblent contribuer à l’obstruction nasale fonctionnelle, aggravant les troubles respiratoires chez les enfants asthmatiques ou allergiques.

L’ajout d’une évaluation myofonctionnelle dans le parcours de soins permettrait donc d’enrichir les interventions classiques, en ciblant directement les causes mécaniques et fonctionnelles de la respiration buccale.

Rééducation myofonctionnelle : un levier à considérer

La rééducation myofonctionnelle vise à restaurer une dynamique orofaciale optimale : fermeture labiale, posture linguale haute, respiration nasale spontanée. Elle repose sur des exercices ciblés de tonification, de coordination musculaire et de conscience corporelle.

Plusieurs publications attestent de son efficacité. Felício et al. (2018) rapportent une amélioration de la respiration nasale, du sommeil et de la qualité de vie chez les enfants souffrant de troubles respiratoires après une intervention myofonctionnelle. En rétablissant une respiration nasale efficace, on limite l’exposition des bronches aux irritants, réduisant ainsi les exacerbations asthmatiques (Couto et al., 2017 ; Yamaguchi et al., 2020).

Une étude quasi expérimentale conduite par Campanha et al. (2010) confirme l’apport de l’orthophonie dans ce contexte. Chez 24 enfants et adolescents respirateurs buccaux souffrant d’asthme et de rhinite allergique, les auteurs ont comparé deux modalités de traitement : un changement de mode d’inhalation (de buccal à nasal), seul ou combiné à une rééducation orthophonique (16 séances sur 8 semaines). Le groupe bénéficiant de l’orthophonie a montré des améliorations nettes : meilleur contrôle clinique de l’asthme, hausse du débit inspiratoire maximal et du débit expiratoire de pointe, meilleure posture labiale et feedback positif des parents. L’étude démontre ainsi que la prise en charge orthophonique peut renforcer et accélérer les effets des traitements médicaux.

Une approche interdisciplinaire indispensable

Pour répondre à la complexité des cas d’enfants présentant à la fois TMO, asthme et/ou rhinite allergique, une approche concertée est essentielle. Orthophonistes, ORL, pneumologues, allergologues et dentistes pédiatriques doivent conjuguer leurs expertises pour :

  • Dépister précocement les troubles respiratoires et posturaux associés ;

  • Rééduquer les fonctions orofaciales afin de restaurer une respiration nasale dès que possible, limitant ainsi les répercussions sur la croissance faciale et la mandibule ;

  • Adapter les traitements médicaux (corticostéroïdes, antihistaminiques, hygiène nasale, gestion des allergènes à domicile) ;

  • Prévenir les complications dento-faciales et fonctionnelles à long terme.

Conclusion

La respiration buccale, souvent banalisée, joue un rôle central dans la spirale dysfonctionnelle liant TMO, asthme et rhinite allergique. Loin d’être un simple symptôme, elle devient une cause active de désorganisation fonctionnelle. La rééducation myofonctionnelle, en agissant sur les fondements de la respiration nasale, s’impose comme un levier thérapeutique complémentaire à explorer dans une logique intégrative.

Cela dit, malgré des résultats prometteurs, la littérature actuelle reste limitée. Une revue systématique d’Araújo et al. (2019) souligne le manque d’études de haute qualité méthodologique. Un seul essai contrôlé randomisé répondait aux critères de rigueur scientifique. Bien qu’il ait montré des effets positifs sur le contrôle de l’asthme, les auteurs concluent que les preuves demeurent encore faibles.

Ces constats soulignent l’urgence de mener de nouvelles recherches cliniques rigoureuses pour mieux documenter l’impact réel de la rééducation myofonctionnelle dans la gestion des pathologies respiratoires chroniques de l’enfant.

Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste


Références (ordre alphabétique)

Araújo, B. C. L., Lima, T. R. C. M., de Gois-Santos, V. T., Nascimento, G. K. B. O., Martins-Filho, P. R., & Simões, S. M. (2020). Association between orofacial myofunctional changes and nasal permeability in children and adolescents with asthma and/or rhinitis. European Archives of Oto-Rhino-Laryngology, 277(8), 2203–2210. https://doi.org/10.1007/s00405-020-06518-2

Araújo, B. C. L., Simões, S. M., Moreira, M. G. S., Mendes, A. L. F., & Martins-Filho, P. R. S. (2019). Evidence in patients with asthma and rhinitis undergoing orofacial myofunctional therapy: A systematic review. CoDAS, 31(6), e20190009. https://doi.org/10.1590/2317-1782/20192019009

Bates, A. J., Silkoff, P. E., & et al. (2017). Oral versus nasal breathing during asthma exacerbations: Effect on airway resistance and symptoms. Chest, 152(6), A1543. https://doi.org/10.1016/S0012-3692(16)37008-8

Camacho, M., Certal, V., Capasso, R., et al. (2018). The relationship between nasal breathing and obstructive sleep apnea: A systematic review. The Laryngoscope, 128(5), 1140–1149. https://doi.org/10.1002/lary.26725

Campanha, S. M. A., Fontes, M. J. F., Camargos, P. A. M., & Freire, L. M. S. (2010). Impact of speech therapy on the control of asthma and allergic rhinitis in children and adolescents who breathe through the mouth. Jornal de Pediatria, 86(2), 165–172. https://doi.org/10.2223/JPED.1995

Couto, G. B., de Souza, A. C. B., & Pimentel, M. J. P. (2017). Nasal breathing and its importance for children’s health. Revista CEFAC, 19(6), 847–855. https://doi.org/10.1590/1982-021620171965117

de Felício, C. M., de Oliveira Melchior, M., & Ferreira, C. L. P. (2018). Orofacial myofunctional therapy applied to sleep-disordered breathing: A systematic review and meta-analysis. Sleep Medicine, 51, 125–135. https://doi.org/10.1016/j.sleep.2018.07.019

ERS Task Force. (2014). Breathing and the nose: ERS handbook. Breathe, 10(4), 312–320. https://doi.org/10.1183/20734735.008614

Gomes, C. F., Trezza, E. M., Murade, E. C. A., & Padovani, C. R. (2006). Surface electromyography of facial muscles during natural and artificial feeding of infants. Jornal de Pediatria, 82(2), 103–109. https://doi.org/10.2223/JPED.1456

Soares, G. S., Lima, T. R. M., & Almeida, B. R. (2024). Functional nasal breathing retraining and asthma outcomes: A controlled trial. Journal of Exercise Physiology, 27(1), 45–53. https://doi.org/10.1007/s00421-023-05166-8

Subspecialty Group of Respiratory Diseases, Society of Pediatrics, Chinese Medical Association. (1996). Airway inflammation and allergic response in asthma. Chinese Journal of Pediatrics, 34(3), 129–132. PMID: 8790753

Yamaguchi, H., Takashima, S., et al. (2020). Nasal breathing rehabilitation improves asthma control in children. Clinical and Experimental Allergy, 50(2), 202–210. https://doi.org/10.1111/cea.13531

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