Rôle des différentes professions dans la prise en charge des troubles myofonctionnels orofaciaux (TMO)
Plusieurs professions de la santé contribuent à la compréhension et à la rééducation des troubles myofonctionnels orofaciaux. La collaboration entre ces professionnels est souvent indispensable, favorisant une approche globale et, selon moi, beaucoup plus efficace pour le patient.
Physiothérapeutes
Professionnels du mouvement, de la posture, de l’équilibre bassin-cou-mâchoire-périnée-diaphragme et de la rééducation de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM), les physiothérapeutes font généralement partie de mes suivis. Presqu’à chaque fois.
Exemple : un adolescent de 15 ans consulte pour des ronflements, a un historique d’élargisseur du palais, des amygdales hypertrophiées, des douleurs cervicales et une fatigue musculaire au réveil – difficulté à mastiquer. L’évaluation révèle une respiration buccale chronique, un affaissement postural et une asymétrie de l’ATM. La physiothérapie, combinée à la rééducation myofonctionnelle, viennent à bout de ses douleurs, prévient leur réapparition et ont permis de rééduquer la respiration, la posture et réduire drastiquement la fréquence de ses migraines en plus d’éliminer ses ronflements.
Dentistes
Les dentistes sont en première ligne pour dépister et traiter plusieurs problématiques associées aux TMO. Certains approfondissent leur pratique en ATM, en orthodontie fonctionnelle/préventive ou en médecine du sommeil.
Exemple : un adulte de 40 ans consulte pour une réparation. Le dentiste identifie que le patient a du mal à avaler sa salive la bouche ouverte, signe d’un patron de déglutition infantile. Aussi, lors de l’examen, il doit fréquemment demander au patient d’ouvrir plus grand : atteindre la dent no.37 est difficile, en raison d’un manque d’aperture (mâchoire qui n’ouvre pas suffisamment). Durant la conversation, monsieur rapporte qu’il ronfle de plus en plus, mais qu’il n’est pas intéressé par l’appareil de ventilation nocturne (CPAP). Comme le client présente des signes de dysfonction temporo-mandibulaire, il pourrait ne pas être candidat à l’orthèse d’avancée mandibulaire. Le dentiste peut alors proposer un dépistage du sommeil, et recommander une rééducation myofonctionnelle en orthophonie pour voir si la rééducation des muscles des voies aériennes supérieures serait une alternative. en plus, ça permettrait de s’occuper de la déglutition et d’investiguer sur les raisons de l’aperture limitée de l’ATM (il s’avère que monsieur a une dysfonction parce qu’il a l’habitude de mastiquer d’un seul côté depuis 40 ans).
Ergothérapeutes
Leur expertise en motricité, intégration sensorielle et accompagnement des hypersensibilités leur permet d’intervenir particulièrement auprès des enfants.
Exemple : une fillette de 6 ans refuse les textures solides et présente des haut-le-cœur à table. Elle garde le pouce en bouche à l’endormissement. L’ergothérapeute travaille sur l’intégration sensorielle et les habitudes orales, en parallèle avec l’orthophonie pour la déglutition, la mastication, la ventilation et la respiration. Depuis la fin du suivi, l’enfant dort mieux, se montre plus enjouée et collaborative le matin et l’orthodontiste peut enfin procéder au traitement prévu, elle ne suce plus son pouce.
Chiropraticiens
Leur pratique axée sur la mécanique corporelle, l’équilibre postural et pour certains leur expertise en ajustements des cervicales hautes joue un rôle clé dans la relation bassin-cou-mâchoire puisqu’un désalignement à ce niveau influence la respiration, la posture et peut contribuer au bruxisme.
Exemple : un garçon de 8 ans consulte en orthophonie pour un sigmatisme (parle sur le bout de la langue). L’anamnèse permet d’identifier une respiration buccale chronique en contexte de rhinite allergique, une probable antéversion du bassin, des migraines et du bruxisme nocturne. L’examen orthodontique révèle un déficit de croissance du tiers inférieur du visage, mais le parent n’a pas relié tous ces éléments à un éventuel trouble myofonctionnel et postural avant que l’orthophoniste n’en fasse la démonstration. Le travail chiropratique sur les cervicales hautes, combiné à la prise en charge orthophonique et dentaire, contribue à améliorer sa posture, sa ventilation et sa coordination neuromusculaire globale. En créant plus d’espace dans sa bouche, il libère aussi son nez et se trouve alors moins affecté par sa rhinite allergique. Tous s’entendent pour dire qu’il respire mieux.
Ostéopathes
Par leur approche manuelle globale (crânio-faciale, posturale et fonctionnelle), les ostéopathes visent à rétablir l’équilibre entre les structures et les fonctions.
Exemple : un nourrisson de 4 mois présente une préférence de rotation de la tête, des reflux et des difficultés de succion. Les parents n’envisagent pas la freinectomie bien qu’une consultante en allaitement (IBCLC) l’ait identifié. L’ostéopathe travaille sur la mobilité crânienne et cervicale, la chaine fasciale antérieure afin d’augmenter la mobilité, le confort sur le ventre, réduire les reflux gastro-oesophagien tandis que l’orthophoniste optimise l’allaitement, la position de sommeil, le contrôle des allergènes de l’environnement et donne des informations pertinentes et exacts aux parents (fatigués et dépassés).
Orthophonistes
Leur cœur d’expertise couvre la parole, la voix, la déglutition, la mastication, la ventilation et la respiration. Une grande partie des TMO relèvent directement de leurs compétences, puisque toutes ces fonctions sont généralement touchées. Il s’agit d’une branche moins connue de la profession qui s’éloigne du rôle de soutien scolaire que les orthophonistes peuvent avoir. Cette branche, plus médicale, ressemble davantage au rôle des orthophonistes qui œuvrent en milieu hospitalier car oui, il y a des orthophonistes dans chaque ciusss, siss, siusiss. sisisiis (je me mêle dans mes centres hospitaliers).
Exemple : un enfant de 12 ans, suivi en orthodontie, a toujours une déglutition infantile et une langue en interdental (entre les dents), cela menace le travail orthodontique. L’orthophoniste intervient pour prévenir la rechute et pour optimiser les fonctions. Les parents l’ignoraient, mais le trouble myofonctionnel est aussi à l’origine d’une sélectivité alimentaire et d’une recherche sensorielle (l’enfant porte encore des objets à sa bouche, malgré l’âge et les conséquences (aphtes)). Depuis la fin du suivi, l’enfant accepte de manger des légumes crus et n’avale plus tout rond ses clémentines.
Mon point de vue professionnel
Dans le passé, j’ai mentionné que je souhaitais que la rééducation des TMO en contexte d’apnée obstructive du sommeil (AOS) devienne un acte réservé aux orthophonistes. Cette vision s’appuie sur le fait que l’AOS touche directement les fonctions au cœur des compétences reconnues de l’orthophoniste, entre autres, la déglutition (dysphagie), la voix et la respiration. Bien sûr, nul n’a besoin d’être orthophoniste pour enseigner les exercices myofonctionnels. Toutefois, il faut l’être pour comprendre que le dérhummage fréquent est lié à la voix rauque, lié au reflux pharyngo-laryngé (dont le client était inconscient mais présente tous les signes) et à la probable dysfonction tubaire et faire ces liens-là live quand le client parle de son dernier voyage en avion et des douleurs aux oreilles qu’il a alors ressenti. Vous voyez?
La rééducation de la déglutition et de la voix/la respiration n’est pas un acte réservé, mais elle est protégée et encadrée : il faut être orthophoniste pour la pratiquer de manière professionnelle et reconnue. De mon expérience, lorsque le TMO s’inscrit dans un contexte de trouble obstructif du sommeil (ronchopathie, hypopnée ou apnée obstructive, syndrome de haute résistance des voies aériennes supérieures, respiration paradoxale…), ces fonctions (déglutition, voix/respiration) sont touchées.
En somme, n’importe qui peut « enseigner » certains exercices vocaux ou myofonctionnels de base, mais l’évaluation et l’intervention clinique sur la déglutition ou la voix restent l’apanage de l’orthophoniste.
Mon expérience clinique m’a ouverte aux autres professions d’une manière que je ne pouvais pas anticiper. Quand j’ai commencé à me former en myofonctionnel, on ne m’a pas suggéré de référer en physiothérapie pour désordre postural ou en ORL pour suspicion de rhinite allergique, on ne m’a pas parlé des physiothérapeutes formés en ATM, ni du lien entre le périnée et le diaphragme, il m’a fallu les découvrir par moi-même. Avec le temps et l’expérience, ma liste de références externes s’est progressivement élargie. Pour offrir au patient une rééducation complète et efficace, j’ai besoin de la collaboration de plusieurs professionnels, en particulier lorsque le trouble myofonctionnel est complexe, sévère et associé à de multiples compensations et ramifications secondaires.
Une approche intégrée pour les patients
Les TMO ne concernent pas une seule profession : ils exigent une prise en charge pluridisciplinaire, où chaque expertise éclaire et complète l’autre. À chaque évaluation, quand je réfère vers d’autres professions, je tisse des liens, bâtit des ponts entre professions. C’est dans cet esprit que je forme mes collègues et autres professionnels de la santé à l’évaluation et la rééducation des troubles myofonctionnels orofaciaux. Maintenant que c’est mon rôle de former, je m’assure de combler ce qui je crois était une lacune dans ma formation, soit le rôle de chacun dans la prise en charge de ce trouble complexe et fascinant qu’est le TMO.
Le corps est un tout : c’est en travaillant ensemble que nous pouvons offrir aux patients une rééducation plus complète, cohérente et durable. Vous pouvez me citer là-dessus. J’y crois.
Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste.

No Comments