Le fil rouge

Le fil rouge

Humer pour mieux respirer, mieux dormir et mieux parler : quand le nez devient chef d’orchestre

Nous pensons rarement à notre nez. Pourtant, sa façon de laisser passer l’air influence bien plus que la simple respiration : elle touche la qualité de notre sommeil, l’asthme, et même… la voix.

Au cœur de cette histoire, une molécule étonnante : le monoxyde d’azote nasal (NO). Produit dans les sinus, ce gaz agit comme un régulateur silencieux de notre santé respiratoire. Et un geste aussi simple que humer (bourdonner la bouche fermée) peut suffire à en changer la dynamique.


🌙 1. Rhinite et apnée du sommeil : un nez bouché qui réveille la nuit

La rhinite allergique n’est pas qu’un nez qui coule, c’est un nez bouché en raison d’une réaction inflammatoire dû à la présence d’allergènes. Plusieurs études ont montré qu’elle perturbe le sommeil et augmente le risque d’apnée obstructive du sommeil (AOS).

  • Une revue systématique publiée dans PLOS One (2020) a confirmé que les patients atteints de rhinite allergique présentaient plus de réveils nocturnes, une somnolence diurne accrue et des apnées plus fréquentes que la population générale.

  • Le mécanisme est simple : un nez bouché pousse à respirer par la bouche, ce qui augmente le facteur d’effondrement (collapsability effect) des voies aériennes supérieures, rendant les apnées plus probables.

Ceux qui utilisent un CPAP nasal le savent bien : dès que la bouche s’ouvre, l’air fuit et la pression positive s’effondre, compromettant l’efficacité du traitement. Or, le même principe s’applique même sans appareil. Respirer par la bouche diminue la pression à l’intérieur du pharynx et rend ses parois plus vulnérables à l’effondrement — un peu comme une paille molle qui s’aplatit dès qu’on relâche la pression. À l’inverse, garder la bouche fermée et ventiler par le nez contribue à maintenir une meilleure stabilité des voies aériennes supérieures. Étonnant, non?

Donc, une rhinite mal contrôlée qui force à ventiler par la bouche la nuit ne s’arrête pas au nez : elle augmente le facteur d’effondrement de la paille par laquelle vous respirez et donc, nuit à la qualité du sommeil puisque vous respirez moins bien.


🎶 2. Humer : quand le bourdonnement libère du NO

En 2002, une équipe suédoise (Weitzberg & Lundberg, Am J Respir Crit Care Med) a montré que le humming multiplie par 20 la concentration de NO mesurée dans l’air expiré par rapport à une expiration silencieuse.

Pourquoi ? Parce que le bourdonnement crée une oscillation dans le nez (spécifiquement les cornets nasaux médians) et libère le NO qu’ils stockent.

  • En 2003, Weitzberg et Lundberg ont montré que le premier humming agit comme un véritable coup de fouet : la concentration nasale de NO grimpe en flèche, jusqu’à 15 à 20 fois la normale. Mais si on enchaîne les hums sans pause, l’effet diminue rapidement. Chaque nouvelle vibration expulse un peu plus de NO des sinus, comme si l’on actionnait plusieurs fois de suite la chasse d’eau d’un réservoir. Résultat : après une dizaine de secondes de humming continu, le pic devient de moins en moins marqué. Pour « recharger » le réservoir, il faut patienter quelques minutes (environ 2 à 3) afin que les sinus produisent à nouveau suffisamment de NO. Autrement dit, le humming est le plus efficace lorsqu’il est pratiqué par courtes séquences, entrecoupées de pauses d’un minimum de 2 min.
  • En clinique, l’absence de ce pic de NO lors du humming est un signe objectif d’obstruction des ostiums sinusaux*, fréquent en cas de rhinite ou sinusite chronique.

*Les ostiums sinusaux sont les petits orifices naturels qui relient les sinus aux fosses nasales. 🌬️

  • Chaque sinus (frontal, maxillaire, ethmoïdal, sphénoïdal) possède un ou plusieurs ostiums.

  • Leur rôle est de permettre la circulation de l’air et le drainage du mucus entre les sinus et le nez.

  • Ils sont très étroits (souvent seulement 1 à 3 mm de diamètre), ce qui les rend sensibles à l’inflammation ou à l’obstruction (par exemple lors d’une rhinite ou d’une sinusite).

Dans le contexte du humming, les vibrations créent une oscillation de pression dans les fosses nasales. Cette oscillation se transmet aux ostiums et favorise les échanges gazeux entre les sinus et la cavité nasale, ce qui explique pourquoi le NO est « rincé » hors des sinus à chaque hum.

Mieux encore, un cas publié dans Medical Hypotheses (Eby, 2006) a décrit la disparition quasi complète d’une sinusite chronique sévère après quatre jours de humming intensif (plusieurs séries quotidiennes de hums graves). Les auteurs ont attribué l’effet aux propriétés antimicrobiennes du NO nasal libéré.

Je trouve fascinant de constater que le nez est infiniment plus complexe qu’il n’y parait – un vrai laboratoire biochimique.


🫁 3. Respiration buccale et asthme : un déclencheur caché

Respirer par la bouche n’est pas neutre, surtout pour les asthmatiques.

  • Dans une étude japonaise (Allergy & Asthma Proceedings, 2016), Matsumoto et al. ont montré que la respiration buccale pendant l’exercice augmentait significativement la chute du VEMS (volume expiratoire maximal par seconde) chez les patients asthmatiques, comparée à la respiration nasale.

  • Pourquoi ? Parce que l’air inspiré par la bouche arrive froid et sec dans les bronches, déclenchant une bronchoconstriction (bronchospasme induit par l’effort).

La respiration nasale, en revanche, agit comme un climatiseur biologique : elle réchauffe, humidifie et filtre l’air, protégeant ainsi les bronches.


🛌 4. Respiration buccale et apnée du sommeil : la gorge s’effondre

Pendant le sommeil, l’ouverture de la bouche augmente la collapsibilité du pharynx. Comme on l’a vu plus haut : Respirer par la bouche diminue la pression à l’intérieur du pharynx et rend ses parois plus vulnérables à l’effondrement.

  • Une étude publiée dans Chest (2010) a montré que les patients respirant par la bouche pendant le sommeil présentaient une augmentation de la pression critique de fermeture pharyngée, donc un pharynx plus instable. Pas certain d’avoir compris? Pas de souci. En clair: Le pharynx devient plus fragile et a plus facilement tendance à se refermer pendant la respiration.

  • En polysomnographie, cette ventilation buccale est associée à plus d’événements obstructifs et à des saturations plus basses.


🎤 5. Avant de parler : l’importance d’inspirer par le nez

La qualité vocale est influencée par ce détail fondamental.

Des recherches ont démontré que quelques minutes de respiration buccale suffisent à augmenter la pression seuil de phonation (PTP), c’est-à-dire l’effort minimal nécessaire pour faire vibrer les cordes vocales. C’est la traduction habituelle en français de l’anglais phonation threshold pressure, utilisée dans la littérature scientifique. Les sujets rapportaient également une hausse de l’effort vocal perçu (Verdolini et Titze, 2002).

En revanche, la respiration nasale réduit la PTP et diminue l’effort vocal perçu, grâce à une meilleure hydratation de la muqueuse laryngée, favorisée par le réchauffement et l’humidification de l’air inspiré par le nez.

Une étude récente a confirmé que la respiration nasale, même à travers une gaze humide, améliore l’hydratation de la surface des cordes vocales et optimise leur fonction (Borragan et coll., 2021).

En clair : inspirer par la bouche avant de parler assèche la muqueuse laryngée et alourdit le travail des cordes vocales. Inspirer par le nez, au contraire, garde une voix plus libre et plus économique.


🔄 6. Humming et projection vocale : un double gain

Le humming appartient aux exercices dits à tractus vocal semi-occlus (SOVTE). En créant une résistance douce à la sortie de l’air, il augmente la pression supraglottique, stabilise la vibration et diminue la PTP.

  • Titze (2006, Journal of Singing) a montré que les SOVTE permettent une meilleure efficacité source–résonateur et une projection vocale accrue pour un effort moindre.

  • Des études plus récentes confirment que ces exercices améliorent la fatigabilité vocale chez les professionnels de la voix.

Autrement dit : humer, c’est non seulement déboucher ses sinus, mais aussi préparer sa voix à mieux porter.


🔗 Le fil rouge

Tout s’imbrique :

  • La rhinite favorise la respiration buccale, aggravant l’asthme et l’AOS.

  • La respiration buccale, en retour, assèche les cordes vocales et augmente l’effort vocal.

  • Le humming relance la voie nasale en libérant du NO, protège les bronches, contribue à stabiliser le passage de l’air durant le sommeil, et optimise la projection vocale.

Le nez, les poumons et les cordes vocales ne travaillent donc jamais séparément : ils forment un continuum physiologique que le humming aide à réharmoniser. Et pour les habitués de mes articles, il y a aussi le diaphragme et le périnée dans l’équation, bien sûr.

Le fil rouge

En sciences comme dans la vie, nous cherchons souvent un fil conducteur qui relie des phénomènes en apparence éloignés. Le fil rouge, c’est cette ligne invisible qui, une fois révélée, donne du sens à l’ensemble. Dans cet article, il s’est tissé entre la respiration nasale, la production d’oxyde nitrique, l’impact sur la voix et la santé respiratoire. De la même manière qu’au tricot, chaque maille peut sembler isolée, mais c’est l’enchaînement patient et précis qui crée un motif cohérent. Ce travail de vulgarisation scientifique ressemble pour moi à un tricot : assembler des fils de données, les entrelacer avec rigueur et ouverture, pour donner forme à une compréhension plus riche et plus humaine de la santé. Mon fil rouge, c’est celui qui unit la science, la clinique et la vie quotidienne.

Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste


📚 Références

  • Borragan, M., Mediavilla, B. G., Agudo Legina, M., González Fernández, M. J., Strangis, D., Fantini, M., Ricci Maccarini, A., & Borragan Torre, A. (2021). Nasal breathing through a damp gauze enhances surface hydration of the vocal folds and optimizes vocal function. Journal of Voice, 37(6), 973.e1–973.e10. https://doi.org/10.1016/j.jvoice.2021.06.023 jvoice.org+3PubMed+3ResearchGate+3

  • Craig T. et al. (2020). Sleep impairment in allergic rhinitis: systematic review. PLOS One.

  • Weitzberg E., Lundberg J.O. (2002). Humming greatly increases nasal nitric oxide. Am J Respir Crit Care Med, 166(2), 144–145.

  • Weitzberg E., Lundberg J.O. (2003). NO from the paranasal sinuses: a key regulator of airway function. Eur Respir J, 22(4), 591–596.

  • Eby G.A. (2006). Strong humming to terminate chronic rhinosinusitis in 4 days. Medical Hypotheses, 66(4), 851–854.

  • Matsumoto H., Kato M. (2016). Mouth breathing during exercise worsens lung function in asthma. Allergy & Asthma Proceedings, 37(5), 352–358.

  • Fitzpatrick M.F. et al. (2010). Effect of mouth opening on upper airway collapsibility. Chest, 137(5), 1204–1209.

  • Verdolini K., Titze I.R., Fennell A. (1994, 2002). Respiratory tract dehydration & phonation threshold pressure. JSLHR.

  • Titze I.R. (2006). Voice training and semi-occluded vocal tract exercises. J Singing, 62(5), 449–450.

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