Parler de mémoire ou de concentration évoque rarement la mâchoire. Et pourtant! Une étonnante série d’études scientifiques suggère que bien mastiquer pourrait jouer un rôle non négligeable dans la préservation des fonctions cognitives, en particulier avec l’âge. Voici pourquoi vous devriez peut-être repenser vos compotes de pommes et vos carottes vapeur.
🦷 Mastiquer, un exercice cérébral
La mastication active de nombreuses régions du cerveau, notamment le cortex préfrontal et l’hippocampe, essentiels pour la mémoire et les fonctions exécutives. En mâchant, on stimule la circulation sanguine cérébrale, on augmente l’apport en oxygène et on favorise la production de certains neurotransmetteurs impliqués dans la cognition.
Dans une revue qualitative de 2019, Allen et al. ont observé que la mastication d’aliments résistants augmentait la perfusion cérébrale dans des zones liées à l’attention et à l’apprentissage. Ce simple acte mécanique devient donc un véritable stimulant neuronal!
🧓 Moins de dents, plus de risques?
Plusieurs études épidémiologiques ont confirmé un lien entre la perte de dents, la diminution de la capacité masticatoire et le déclin cognitif. Une méta-analyse récente (2023) a conclu que les personnes âgées avec une faible capacité de mastication présentaient des scores cognitifs inférieurs et un risque accru de troubles de la mémoire, comparativement à celles qui mastiquaient efficacement (Kim et al., 2023).
🍎 Croquer dans la santé : aliments mous vs résistants
Bien sûr, on peut compenser une perte de dents avec des prothèses ou des implants. Ces solutions permettent souvent de retrouver une fonction masticatoire acceptable et une qualité de vie appréciable. Mais rien n’égale les vraies dents. Les dents naturelles transmettent des signaux sensoriels très précis au cerveau via le ligament parodontal, ce qui optimise la coordination de la mastication et la perception de la texture des aliments. Elles permettent aussi une pression masticatoire plus fine, plus contrôlée, et moins traumatisante pour les structures environnantes. Préserver ses dents, c’est donc aussi préserver un dialogue sensoriel essentiel entre la bouche et le cerveau.
Prenons un exemple tout simple : la pelure de pomme. Beaucoup de gens préfèrent la retirer, mais elle offre une résistance qui oblige à mâcher plus longuement et plus fermement. Idem pour les légumes : une carotte crue demandera bien plus d’effort (et donc de stimulation neurologique) qu’une carotte vapeur pour un apport nutritionnel similaire.
De petites décisions au quotidien, comme choisir le croquant plutôt que le fondant, pourraient bien faire une différence à long terme.
🧠 Mastication et prévention du déclin cognitif
Une revue systématique de 2016 (Weijenberg et al.) a analysé 33 études et a montré que la majorité d’entre elles associaient une mastication réduite à une baisse des fonctions cognitives. Mieux encore, certaines études prospectives ont observé qu’un déclin de la mastication précédait l’apparition de troubles cognitifs, ce qui en ferait un signal d’alerte précoce.
👶 Et chez les enfants nourris par sonde?
Le lien entre mastication et développement cognitif ne concerne pas que les aînés. Chez les jeunes enfants alimentés par gavage (sonde nasogastrique ou gastrostomie), l’absence de stimulation orale, incluant la mastication, est associée à des retards dans plusieurs sphères du développement. Des études montrent que ces enfants présentent plus fréquemment des difficultés motrices orales, une aversion sensorielle alimentaire, et des quotients développementaux (DQ) plus faibles en cognition, communication et motricité. Le manque de mastication et d’expérience orale peut ainsi altérer l’organisation neurologique précoce liée aux fonctions oromotrices et cognitives. Ces constats soulignent l’importance d’introduire, dès que possible, des expériences orales sécuritaires (textures, saveurs, mouvements de la bouche), même si l’alimentation par tube demeure nécessaire.
💡 Ce qu’on peut retenir
Garder ses dents est un investissement pour la mémoire.
Choisir de mastiquer des aliments résistants stimule le cerveau.
La mastication est un facteur modifiable dans la prévention du déclin cognitif.
En orthophonie myofonctionnelle, j’enseigne l’importance d’adopter une bonne technique de mastication. Mastiquer exclusivement d’un seul côté n’est pas optimal ni souhaitable, car cela peut contribuer à des troubles de la mâchoire. Par ailleurs, rencontrer des difficultés à mâcher la pelure de pomme est souvent un signe révélateur d’un défaut dans la technique.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans certaines cultures, « bien manger » rime avec « bien mastiquer ». Redonner à la mastication l’attention qu’elle mérite pourrait s’inscrire comme une composante essentielle d’une stratégie globale de santé cérébrale.
Alors, la prochaine fois que vous préparez des légumes, pourquoi ne pas en conserver quelques-uns crus ? Votre cerveau vous en remerciera.
Références
Allen, A. P., Smith, A. P., & Murphy, E. (2019). Chewing gum: Cognitive performance, mood, well-being, and associated physiological responses. Appetite, 133, 187–193. https://doi.org/10.1016/j.appet.2018.10.030
Allen, K., & Smith, C. (2019). The neurophysiological benefits of mastication: A review of the evidence. Current Topics in Nutraceutical Research, 17(3), 229–236.
Andersen, C. C., & Steward, M. L. (1990). Oral-motor development and feeding in children who are tube fed. The American Journal of Occupational Therapy, 44(9), 785–789. https://doi.org/10.5014/ajot.44.9.785
Kim, D. H., Kim, H., & Jung, J. (2023). Mastication and cognitive function in older adults: A systematic review and meta-analysis. Geriatrics & Gerontology International, 23(1), 21–30. https://doi.org/10.1111/ggi.14414
McKean, M., Jackson, A., & Jenkins, D. (2019). Developmental outcomes of infants with congenital heart disease fed by nasogastric tube. Early Human Development, 136, 28–34. https://doi.org/10.1016/j.earlhumdev.2019.06.003
Silverman, A. H., & Krishnan, S. (2024). Feeding disorders in children: Long-term consequences of enteral feeding on oromotor function and development. Frontiers in Pediatrics, 12, 1088352. https://doi.org/10.3389/fped.2024.1088352
Weijenberg, R. A. F., Scherder, E. J. A., & Lobbezoo, F. (2016). Mastication for the mind—The relationship between mastication and cognition in ageing and dementia. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 60, 22–36. https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2015.11.003
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