L’apnée obstructive du sommeil chez la femme

L’apnée obstructive du sommeil chez la femme

Voilà une image qu’on ne voit pas souvent. Une femme appareillée! C’est que l’apnée obstructive du sommeil est largement conçue comme étant un trouble masculin.

Ce que c’est

L’apnée obstructive du sommeil est un trouble grave qui survient lorsque la respiration d’une personne est interrompue à plusieurs reprises pendant le sommeil, parfois des centaines de fois. À chaque fois, le niveau d’oxygène dans le sang diminue, ce qui finit par endommager de nombreuses cellules du corps.

Chaque fois qu’une obstruction se produit, votre cerveau vous réveille inconsciemment pour ouvrir les voies respiratoires afin que vous puissiez respirer, ce qui indique à votre système respiratoire de se remettre en marche. Souvent, le matin venu, vous ne vous souvenez pas vous être réveillé, mais ce cycle se répète tout au long de la nuit et empêche votre esprit et votre corps de faire le plein de repos nécessaire pour bien fonctionner. C’est un homme sur 4 en Amérique du Nord et un adulte sur 3 passé 65 ans qui souffriront de cette affection.

Cette maladie toucherait plus de 21 millions d’adultes au Canada* et est associée à un certain nombre de conséquences graves sur la santé et à des décès prématurés. Les femmes sont beaucoup moins susceptibles d’être diagnostiquées que les hommes.

*sa prévalence était de 20 M en 2019 et est considérée augmenter de 20%/année. Considérant également que c’est un trouble largement sous-diagnostiqué, 21 M est un estimé très prudent.

 

Pourquoi l’AOS est-elle vue comme un trouble masculin ?

La plupart des gens imaginent que les personnes qui souffrent d’apnée du sommeil sont des hommes de forte corpulence d’âge moyen qui ronflent bruyamment. Bien que la sédentarité (indépendamment du poids), l’âge, le sexe, le poids et la circonférence du cou soient tous des facteurs qui augmentent le risque d’apnée du sommeil, ces paramètres ne représentent pas l’ensemble des personnes touchées.

Des études antérieures ont montré un rapport inégal entre les hommes et les femmes chez qui on a diagnostiqué une apnée obstructive du sommeil (environ huit ou neuf hommes par femme). Cependant, nous savons, d’après des études menées dans la population générale, que le ratio réel est probablement plus proche de deux ou trois hommes pour chaque femme souffrant d’apnée du sommeil.

Donc oui, il y a plus d’hommes ce qui peut expliquer qu’on conçoit le trouble comme étant masculin, mais il y a également plus d’hommes diagnostiqués. La distinction que je cherche à faire ici c’est qu’on conçoit l’AOS comme étant masculine et on la cherche davantage chez les hommes en conséquence.

 

Pourquoi les femmes reçoivent elles moins de diagnostics d’apnée du sommeil que les hommes ?

Différentes hypothèses sont mises de l’avant dans les études que j’ai lues.

D’une part, les femmes sont généralement moins étudiées en science que les hommes.

D’autre part, elles vont davantage nommer leurs symptômes psychologiques comme la dépression, l’insomnie ou l’anxiété ou excuser leur fatigue par la charge des enfants qui ne font pas leur nuit (par exemple). Ou comme pour moi hier, d’un enfant qui a fait pipi au lit.

Aussi, les professionnels de la santé livrent moins souvent de diagnostics d’apnée du sommeil chez les femmes alors il est raisonnable de croire que c’est moins rapidement envisagé chez elles.

Les femmes sont deux fois moins susceptibles de rapporter un ronflement fort (10% contre 20% chez l’homme) et trois fois moins susceptibles de rapporter que quelqu’un avait observé qu’elles cessaient de respirer pendant leur sommeil (3% contre 9% chez l’homme). Par contre, elles présentent plus souvent des problèmes d’endormissement ou d’insomnie et rapportent plus fréquemment leur fatigue et/ou somnolence diurne. Parmi les critères diagnostiques, leur circonférence du cou est moins significative, mais leur indice de masse corporelle le serait davantage.

D’autres facteurs, comme des différences dans la répartition du gras ou l’anatomie des voies respiratoires, peuvent également contribuer à la différence dans le diagnostic de l’apnée du sommeil entre les hommes et les femmes (Gonzaga et coll., 2015; Lin et coll., 2008; Jehan et coll., 2016).

Puis, la présentation de l’AOS chez la femme n’est pas la même que chez les hommes et malheureusement, c’est encore trop ignoré.

De fait, les femmes vont présenter des symptômes moins « typiques » comme faire de l’apnée obstructive sans ronfler.

Les symptômes caractéristiques que sont le ronflement, les apnées observées, le surpoids et le fait de s’endormir pendant la journée pourraient être moins fréquents chez les femmes atteintes d’apnée légère du sommeil que chez les hommes atteints du même degré de cette affection, ce qui rend l’apnée du sommeil encore moins évidente chez les femmes. Bien que les femmes éprouvent elles aussi une somnolence diurne, il est possible qu’elles aient un seuil de tolérance à la somnolence différent de celui des hommes.

Les recherches ont également documenté des différences selon le sexe quant aux voies respiratoires supérieures, à la répartition du gras et à la stabilité respiratoire. Entre autres, la présence d’hormones féminines (progestérone et oestrogène) est un facteur de protection contre l’affaissement des voies aériennes supérieures. En clair, ces substances agissent comme des toniques empêchant la paille par laquelle on respire de s’effondrer sur elle-même la nuit. C’est pourquoi dès la ménopause il y a autant de femmes que d’hommes qui présentent des troubles obstructifs.

Tout le monde peut recevoir un diagnostic erroné. Mais comme il semble y avoir disparité entre la prévalence de femmes atteintes d’AOS dans la population et ce qui est rapporté dans les études, une autre hypothèse serait que les femmes reçoivent un diagnostic un autre diagnostic que celui d’apnée du sommeil, lorsqu’elles mentionnent leurs symptômes.

 

L’apnée du sommeil serait plus dangereuse pour les femmes !

Aie! J’aimerais que ce soit faux, et j’ai toujours un peu peur de la réaction que cette nouvelle va susciter lorsque je le mentionne à une cliente ou un auditoire en conférence.

Jetons la base.

Comme chez les hommes, les femmes souffrant d’apnée du sommeil non traitée courent un risque plus élevé de développer des maladies chroniques comme l’hypertension artérielle, les accidents vasculaires cérébraux (AVC), le diabète de type 2, le syndrome métabolique et la dépression.

De plus en plus de preuves suggèrent que même l’apnée légère du sommeil devrait être traitée, car elle est associée à une déficience diurne, à de la difficulté à se concentrer et à accomplir des tâches, à une mauvaise performance psychomotrice et à une qualité de vie réduite en général.

Là où ça blesse.

Ce qui est cependant très peu connu c’est que l’impact de l’apnée chez la femme est pire que chez l’homme à bien des égards.

En effet, une étude de 2013 de l’école de sciences infirmières de l’UCLA montre que les réponses autonomes du corps – les contrôles qui influencent des fonctions telles que la pression artérielle, la fréquence cardiaque et la transpiration – sont plus faibles chez les personnes souffrant d’apnée obstructive du sommeil, mais sont encore plus diminuées chez les femmes.

Les femmes souffrant d’apnée obstructive du sommeil peuvent sembler en bonne santé – ayant, par exemple, une tension artérielle au repos normale – et leurs symptômes ont également tendance à être plus subtils, ce qui signifie souvent que leur problème de sommeil est oublié et qu’on leur diagnostique d’autres conditions.

« Nous savons maintenant que l’apnée du sommeil est un précurseur de problèmes de santé plus graves », a déclaré Paul Macey, chercheur principal de l’étude, parue le 23 octobre dans la revue à comité de lecture PLOS ONE. « Et pour les femmes en particulier, les conséquences pourraient être mortelles. »

Pour l’étude, les hommes et les femmes – avec ou sans apnée obstructive du sommeil – ont vu leur fréquence cardiaque mesurée au cours de trois tâches physiques :

  1. La manœuvre de Valsalva : les sujets expirent fort alors que la bouche est fermée.
  2. Un défi de préhension : les sujets serrent fort avec leur main.
  3. Un défi de pression froide : le pied droit d’un sujet est plongé dans de l’eau froide presque glaciale pendant une minute.

Dans les trois tests, les modifications de la fréquence cardiaque normale étaient plus faibles et plus tardives chez les patients souffrant d’apnée obstructive du sommeil que chez les témoins sains. Les chercheurs ont constaté que la différence était encore plus prononcée chez les femmes.

« Les résultats de ces tests sur la fréquence cardiaque montrent que l’impact de l’apnée du sommeil, bien que grave chez les hommes, est plus grave chez les femmes », a déclaré Macey. « Cela peut signifier que les femmes sont plus susceptibles de développer des symptômes de maladie cardiaque, ainsi que d’autres conséquences d’une mauvaise adaptation aux tâches physiques quotidiennes. Une détection et un traitement précoces peuvent être nécessaires pour se protéger contre les dommages au cerveau et à d’autres organes. »

 

Quels traitements pour résoudre le problème d’apnée du sommeil ?

Si le patient est victime d’un relâchement de certains tissus qui se situent au niveau de son système respiratoire supérieur, le traitement par pression positive continue est habituellement recommandé (cela dépend du type d’apnée, de la désaturation, du degré de sévérité etc). J’ajouterais à cela cependant qu’on peut rééduquer les muscles qui tapissent le larynx (et d’autres structures comme le velum, la langue et l’épiglotte) afin de voir si cela réduit l’indice d’apnée hypopnée (nombre d’arrêts à l’heure) ainsi que les symptômes subjectifs comme la somnolence, l’irritabilité, le sentiment de ne pas être reposé malgré une quantité suffisante de sommeil.

Avant de conclure, j’aimerais souligner la souffrance psychologique en lien avec l’AOS. On n’en parle pas suffisamment je trouve. Avec des nuits non-réparatrices, il n’y a pas que les conséquences sur la santé physique.

Voici quelques exemples de conséquences vécues tirés de ma patientèle.

Je repousse le moment d’aller me coucher parce que j’aime pas ça dormir. Je sais que ça sert à rien, que je vais me réveiller plein de fois, que je vais étouffer. Tant qu’à ça je préfère rester debout et être productive.

 

J’ai du poids à perdre, je le sais, mais je suis tout le temps fatiguée. Aller marcher me fatigue rien qu’à y penser.

 

C’est ma blonde qui gère les enfants; moi j’ai pas la patience. J’aimerais ça m’impliquer plus, mais j’ai la mèche courte (irritabilité étant un des symptômes psychologiques reconnus de l’AOS).

 

J’ai fait plusieurs dépressions durant ma vie. J’ai toujours pensé que j’étais lâche, je me suis bâtie une personnalité autour de ce concept. Maintenant que j’ai mon diagnostic, je sais que je suis fatiguée et déprimée parce que j’arrive juste pas à dormir. Ça remet tout en question!

 

Il a fallu que j’engage de l’aide la nuit pour mon bébé. J’ai de la misère à faire mes journées quand je dors toute la nuit. Me lever 4-5 fois par nuit c’était juste pas faisable. Pourtant on a pas les moyens. J’ai juste pas le choix.

 

Quand on part en vacances, ma femme pis moi, on doit prendre deux chambres sinon on dort pas l’un l’autre. Ça coûte cher, pis c’est plate! On est trop jeunes pour faire chambre à part de même. J’ai l’impression de revoir mes parents.

Qui ne voudrait pas (re)trouver un sommeil réparateur qui lui permette de vivre la vie qu’il/elle souhaite?

 

Références

Alison Wimms, Holger Woehrle, Sahisha Ketheeswaran, Dinesh Ramanan, and Jeffery Armitstead, “Obstructive Sleep Apnea in Women: Specific Issues and Interventions,” BioMed Research International, vol. 2016, Article ID 1764837, 9 pages, 2016. https://doi.org/10.1155/2016/1764837.

C Gonzaga, A Bertolami, M Bertolami, C Amodeo and D Calhoun (2015). Obstructive sleep apnea, hypertension and cardiovascular diseases. Journal of Human Hypertension (2015) 29, 705–712

Jehan S, Auguste E, Zizi F, Pandi-Perumal SR, Gupta R, Attarian H, Jean-Louis G, McFarlane SI. Obstructive Sleep Apnea: Women’s Perspective. J Sleep Med Disord. 2016;3(6):1064. Epub 2016 Aug 25. PMID: 28239685; PMCID: PMC5323064.

Lin, C. M., Davidson, T. M., & Ancoli-Israel, S. (2008). Gender differences in obstructive sleep apnea and treatment implications. Sleep medicine reviews12(6), 481-496.

Paul M. Macey, R. K.-G. (2013). Heart Rate Responses to Autonomic Challenges in. Plos One.

Young, Terry, et al. “Epidemiology of Obstructive Sleep Apnea A Population Health Perspective.” American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, 1 May 2002, www.atsjournals.org/doi/full/10.1164/rccm.2109080.

“Women & Sleep Apnea.” National Sleep Foundation, www.sleepfoundation.org/articles/women-and-sleep-apnea.

 

 

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