Deux voies, deux résultats 

Qu’on soit religieux ou non, il faut s’incliner devant la sagesse des anciens. Même la bible mentionne que l’entrée d’air est le nez! 

Il existe deux voies respiratoires, par la bouche et par le nez, et les humains respirent normalement par le nez. Pas que c’est la norme de nos jours, mais qu’ils sont conçus pour respirer par le nez. La bouche c’est l’entrée d’urgence, l’entrée de secours.  

Lorsque vous êtes apaisé, lové dans les bras d’une personne chère, vous respirez par le nez. 

Lorsqu’un plongeur en apnée émerge à la surface, il inspire par la bouche. Il est allé au-delà de ses limites, le cerveau panique, il veut le maximum d’entrée d’air – un fort débit. 

Le fort débit offert par la bouche est en fait moins efficace que le débit plus faible du nez, plus d’air entre, mais le corps en tire moins d’oxygène.

Respirer par le nez offre davantage d’oxygène au corps. 

Lorsqu’ils doivent utiliser la voie de secours en contexte d’obstruction nasale, des conséquences fâcheuses s’en suivent. Des relations ont été signalées entre la respiration buccale et des troubles tels qu’un développement anormal de la région orofaciale, la bouche sèche, les malocclusions, des anomalies de la mastication, des caries dentaires, des maladies parodontales et la mauvaise haleine [3,4].  

Mais plus proche de notre travail d’orthophoniste, la nuit, la respiration buccale en raison d’une obstruction nasale provoque souvent des troubles obstructifs du sommeil [1], et pendant la journée, cela peut donner lieu à des symptômes similaires à ceux du trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDAH) [2]. De cette manière, il a été a suggéré que de respirer par la bouche au lieu du nez peut nuire à la fonction cérébrale (planification, gestion des émotions, résolution de problèmes, organisation, mémoire et reconnaissance des visages). 

Les différentes voies respiratoires (nez, bouche) apportent des habitudes respiratoires (fréquence, patron et volume) différentes [14] avec des conséquences propres à chaque voie. 

 

L’hyperventilation 

Dans une étude de la respiration et du flux sanguin cérébral à l’aide de la spectroscopie par infrarouge (NIRS), on a prouvé que l’hyperventilation réduisait la pression du dioxyde de carbone (CO2) et le flux sanguin cérébral au moyen de la vasoconstriction [7].  Moins il y a de Co2, plus petits deviennent les vaisseaux sanguins et donc, moins ils peuvent transporter de globules rouges avec à leur bord des molécules d’oxygène (O2).

Dit clairement, hyperventiler (trop respirer) prive le cerveau d’oxygène. Les clients que je vois et qui ronflent, ont généralement une ventilation buccale et une légère hyperventilation. Ça vient souvent ensemble (ventiler par la bouche et inspirer trop souvent).  

La respiration par la bouche peut souvent être plus rapide et moins régulée que la respiration par le nez. Cela peut entraîner une augmentation de la ventilation pulmonaire, c’est-à-dire que vous respirez plus rapidement et que vous inspirez plus d’air par minute. 

L’augmentation de la ventilation peut alors conduire à une baisse du taux de dioxyde de carbone (CO2) dans le sang, car vous expirez plus de CO2 que vous n’en produisez. Cela peut donner l’impression d’une respiration excessive ou d’une hyperventilation. 

Pour oxygéner au mieux votre cerveau et préserver ses fonctions, il faut ventiler par le nez et au bon rythme. 

 

Mieux expirer serait plus bénéfique que mieux inspirer 

Elwell et coll. [8] ont montré une corrélation entre l’hémoglobine totale (oxyhémoglobine et désoxyhémoglobine) dans le cerveau et la pression expiratoire. Ce qui n’est pas sans susciter mon intérêt puisque les recherches démontrent que de travailler les muscles expiratoires (EMST expiratory muscle training therapy) est plus efficace pour réduire l’apnée obstructive du sommeil que de travailler les muscles inspiratoires (IMST inspiratory muscle training therapy). 

Cependant, on sait très peu de choses sur les effets possibles sur le flux sanguin cérébral et le métabolisme de l’oxygène résultant de différences entre la respiration buccale et nasale pendant les heures de veille. Si on se fie à ce qu’on sait déjà, respirer par la bouche c’est potentiellement toxique.  

J’ai eu peur d’exagéré en écrivant cela alors je suis allée valider la définition de toxique.  

La toxicité est la mesure de la capacité d’une substance chimique, radionucléide, molécule organique, etc. à provoquer des effets néfastes et mauvais pour la santé ou la survie chez toute forme de vie, qu’il s’agisse de la vitalité de l’entité ou d’une de ses parties. 

Ce n’est donc pas une exagération. 

 

Mon petit doigt me dit que je respire par la bouche 

La recherche a démontré une baisse de l’oxygène transcutané* pendant la respiration buccale en comparaison avec la respiration nasale [10]. 

L’oxygène transcutané, également connu sous le nom de tension en oxygène transcutané (PtcO2), est une mesure de la pression partielle d’oxygène dans les tissus sous la peau. Il s’agit d’une technique non invasive utilisée pour évaluer la quantité d’oxygène qui atteint les cellules des tissus corporels. 

Le principe de base de la mesure de l’oxygène transcutané repose sur l’utilisation d’une électrode spéciale placée à la surface de la peau. Cette électrode contient une membrane semi-perméable qui permet à l’oxygène de passer à travers tout en empêchant d’autres gaz de pénétrer. 

Vous savez, cette petite épingle qu’on met au bout de notre index lorsqu’on consulte un professionnel de la santé? C’est ça que ça mesure. L’oxygène transcutané.  Eh bien, respirer par la bouche transparaît dans la mesure et ce n’est pas positif. 

 

L’oxyde nitrique, mon nouvel meilleur ami

Pour comprendre ce qui se passe dans le nez, il faut s’intéresser à l’oxyde nitrique (NO). Il s’agit d’un gaz à l’effet vasodilatateur, équivalent au ventolin contenu dans la pompe bleue des asthmatiques. L’oxyde nitrique, est produit dans les sinus paranasaux et est excrété en continu dans les voies respiratoires nasales. Cet oxyde nitrique atteindra normalement les poumons lors de l’inspiration si cette dernière est nasale.  

Lundberg et al., 1996 ont étudié les effets de la respiration nasale et orale sur la tension transcutanée en oxygène (tcPO2) chez des sujets sains, mais également si le rétablissement d’une faible dose d’oxyde nitrique inhalé influencerait l’indice de résistance vasculaire pulmonaire (PVRI) et l’oxygénation artérielle (PaO2) chez les patients intubés qui sont privés d’oxyde nitrique produit dans les voies respiratoires nasales. 

Résultats : L’oxygénation artérielle est améliorée chez des sujets sains et éveillés lors de la respiration nasale par rapport à la respiration buccale. Également, chez les patients intubés, la fonction pulmonaire peut s’améliorer en ajoutant de l’air provenant du nez du patient au flux inspiratoire du ventilateur. Les effets de l’air nasal sur la fonction pulmonaire chez les sujets sains et chez les patients intubés étaient probablement dus à l’oxyde nitrique, puisque les effets de l’oxyde nitrique exogène dans la même plage de concentrations ne différaient pas significativement de ceux obtenus avec l’air nasal. D’autres explications possibles de l’oxygénation accrue lors de la respiration nasale comprennent l’humidification de l’air inhalé. Cependant, l’administration d’air humide pendant la respiration orale n’a pas affecté le tc PO2 dans cette étude. 

Dit clairement, ajouter de l’oxyde nitrique naturellement (en respirant par le nez) ou en l’ajoutant à l’air est bénéfique (meilleure fonction pulmonaire) pour les sujets sains comme pour les patients intubés.

 

Je vous laisserai avec cette simple question: Pourquoi persister à ventiler par la bouche? 

 

Marie-Emmanuelle Marchand, M.Sc., Orthophoniste

 

P.S. Je suis particulièrement fière de cet article parce qu’il est très documenté. Beaucoup de travail est allé à le construire et j’ai parfois l’impression de travailler dans le vide. Si vous appréciez mon travail merci de l’annoncer ici.

P.P.S. Cet article m’a inspiré une formation qui sortira bientôt sur la ventilation et la respiration. Comprendre, puis appliquer tout ça aux suivis myofonctionnels pour aider nos clients (et s’aider sois-même, soyons honnête) à ventiler et respirer mieux. Pour ne pas la manquer, inscrivez-vous à mon infolettre.

 

Pour lire ce que j’ai de déjà publié sur le sujet  

Est-ce possible que mon nez respire tout le temps mal? – Marie-Emmanuelle Marchand (monorthophoniste.com) 

La respiration buccale… ni banale, ni anodine. – Marie-Emmanuelle Marchand (monorthophoniste.com) 

TDAH et AOS chez l’enfant. Y voir plus clair. – Marie-Emmanuelle Marchand (monorthophoniste.com) 

 

Références:

1 Young T, Finn L, Kim H. Nasal obstruction as a risk factor for sleep-disordered breathing. J Allergy Clin Immunol 1997;99:757–762. 

2 Jefferson Y. Mouth breathing: adverse effects on facial growth, health, academics, and behavior. Gen Dent 2010; 58:18–25. 

3 Harari D, Redlich M, Miri S, Hamud T, Gross M. The effect of mouth breathing versus nasal breathing on dentofacial and craniofacial development in orthodontic patients. Laryngoscope 2010; 120:2089–2093. 

4 Bakor SF, Pereira JC, Frascino S, Ladalardo TC, Pignatari SS, Weckx LL. Demineralization of teeth in mouth-breathing patients undergoing maxillary expansion. Braz J Otorhinolaryngol 2010; 76:709–712. 

5 Stanca´k A Jr, Kuna M. EEG changes during forced alternate nostril breathing. Int J Psychophysiol 1994; 18:75–79. 

6 Busek P, Kemlink D. The influence of the respiratory cycle on the EEG. Physiol Res 2005; 54:327–333. 

7 Rostrup E, Law I, Pott F, Ide K, Knudsen GM. Cerebral hemodynamics measured with simultaneous PET and near-infrared spectroscopy in humans. Brain Res 2002; 954:183–193. 

8 Elwell CE, Owen-Reece H, Wyatt JS, Cope M, Reynolds EO, Delpy DT. Influence of respiration and changes in expiratory pressure on cerebral haemoglobin concentration measured by near infrared spectroscopy.J Cereb Blood Flow Metab 1996; 16:353–357. 

9 Peter R, Niels HS, Nicolas TP. Understanding central fatigue: where to go? Exp Physiol 2007; 92:369–370. 

10 Lundberg JO, Settergren G, Gelinder S, Lundberg JM, Alving K,Weitzberg E. Inhalation of nasally derived nitric oxide modulates pulmonary function in humans. Acta Physiol Scand 1996; 158:343–347. 

11Kato T, Yamashita Y, Sugihara K, Furusho J, Tazaki I, Tanaka D, et al. Cerebral autonomic functional test using human functional near-infraredgraphy (fNIR). NeuroImage 1999; 9:S221. 

12 Kato T. Apparatus for evaluating biological function. United States Patent 2006; US7065392. 

13 Yoshino K, Kato T. Vector-based phase classification of initial dips during word listening using near-infrared spectroscopy. Neuroreport 2012;14:947–951. 

14 Rodenstein DO, Mercenier C, Sta˘nescu DC. Influence of the respiratory route on the resting breathing pattern in humans. Am Rev Respir Dis 1985;131:163–166. 

15 Pizza F, Biallas M, Wolf M, Werth E, Bassetti CL. Nocturnal cerebral hemodynamics in snorers and in patients with obstructive sleep apnea: a near-infrared spectroscopy study. Sleep 2010;33:205–210. 

16 Olopade CO, Mensah E, Gupta R, Huo D, Picchietti DL, Gratton E, et al.Noninvasive determination of brain tissue oxygenation during sleep in obstructive sleep apnea: a near-infrared spectroscopic approach. Sleep 2007; 30:1747–1755. 

17 Finger EC, Marsh AA, Mitchell DG, Reid ME, Sims C, Budhani S, et al.Abnormal ventromedial prefrontal cortex function in children with psychopathic traits during reversal learning. Arch Gen Psychiatry 2008;65:586–594. 

18 Dumontheil I, Burgess PW, Blakemore SJ. Development of rostral prefrontal cortex and cognitive and behavioural disorders. Dev Med Child Neurol 2008; 50:168–181. 

19 Higashimoto Y, Honda N, Yamagata T, Matsuoka T, Maeda K, Satoh R, et al. Activation of the prefrontal cortex is associated with exertional dyspnea in chronic obstructive pulmonary disease. Respiration 2011; 82:492–500. 

20 Samuel V, Thomas R, Marc J, Bernard W, Franc¸ois E, Patrick L, et al. Cerebral perturbations during exercise in hypoxia. Am J Physiol Regul Integr Comp Physiol 2012; 302:903–916. 

21 Battisti-Charbonney A, Fisher J, Duffin J. The cerebrovascular response to carbon dioxide in humans. J Physiol 2011; 589:3039–3048. 

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