Comme le lion ou le crocodile, notre espèce a une morsure. Une signature. La forme, la position et la quantité de nos dents n’est pas le fruit du hasard, mais d’une évolution de plusieurs milliers d’année.
Nous ne pensons généralement pas à la position de nos mâchoires. Pourtant, les habitudes liées à la fonction de la mâchoire – comme mâcher, respirer et avaler – peuvent entraîner des conséquences inattendues, affectant le développement de notre visage, notre respiration et même notre posture corporelle.
Aujourd’hui, les sociétés modernes font face à une prévalence croissante de mâchoires étroites et de dents encombrées (qui se chevauchent), un problème que la profession dentaire appelle « malocclusion », ce qui peut se traduire par « mauvaise morsure».
Dans ma profession, j’ai souvent à regarder cette »morsure » de près. Déjà, à ma première rencontre avec un nouveau client je m’informe.
Moi: Avez-vous encore totues vos dents
Client: Oui
Moi: Même les dents de sagesses?
Client: Ben non, plus celles-là!
Comment en sommes-nous arrivés à considérer l’extraction de 4 dents comme normal? C’est devenu si courant qu’on ne se questionne même plus. Si le corps humain est une machine dont la complexité n’a rien à envier à une navette spatiale, ne trouvez-vous pas surprenant que le nombre de dents qui nous pousse dans la bouche est rendu excessif?
Mes clients me disent: Oui, mais ma bouche était trop petite, dans mon cas, elles poussaient mal.
D’accord, mais pourquoi est-ce que votre bouche était trop petite, pourquoi vos dents de sagesses étaient-elles impactées (manquent de place et poussent croche nuisant aux 2e molaires à côté)?
Au Québec, l’orthodontie a commencé à se structurer en tant que spécialité au cours de la première moitié du 20e siècle, c’est donc tout récent. Alors pourquoi ce besoin soudain de corriger notre morsure (je vais continuer d’utiliser morsure parce que je réalise que je souris chaque fois que je l’écris) ?
Mâchoire trop petite pour accommoder le nombre de dents
La croissance de la mâchoire est influencée par plusieurs facteurs. Sans surprise, les hormones de croissance, comme la somatotropine (hormone de croissance produite par l’hypophyse), jouent un rôle dans la croissance des os et des tissus du corps, y compris ceux de la mâchoire. Cependant, le développement de la mâchoire dépend également d’autres facteurs, disons plus méconnus.
- Stimulation mécanique : La mastication, la déglutition et d’autres mouvements musculaires jouent un rôle important dans la croissance et le remodelage de la mâchoire. Ces actions créent des forces qui stimulent les os, influençant leur taille et leur forme.
- Nutrition et environnement : Une alimentation en aliments résistants (pain croûté, crudités fibreuses) particulièrement durant l’enfance, est cruciale pour le bon développement des os, y compris ceux de la mâchoire. Mâcher des aliments durs favorise une meilleure croissance de la mâchoire en augmentant la stimulation mécanique.
La croissance de la mâchoire ne se limite donc pas uniquement aux effets des hormones de croissance. Nos choix de société influencent la forme de notre mâchoire. L’alimentation transformée a tendance à être plus molle et plus facile à mastiquer. L’effort perdu se mesure dans la taille de nos mâchoires. La taille de nos dents, elle, n’a presque pas évolué au fil des siècles. La cavité orale est donc de moins en moins capable d’accommoder le nombre de dents. Elles manquent de place et se chevauchent. Quant aux molaires, elles manquent aussi de place et se retrouvent impactées dans l’os et on doit alors les enlever.
Ces troubles, souvent accompagnés d’une respiration par la bouche, non seulement dégradent l’apparence mais peuvent aussi réduire la qualité de vie. En effet, de plus en plus de recherches montrent que ces conditions sont étroitement liées à des problèmes de santé, tels que les troubles du sommeil et l’apnée obstructive du sommeil – une pathologie à l’origine de pauses respiratoires nocturnes fréquentes qui affectent profondément la qualité du sommeil et la santé générale.
Augmentation de la prévalence de rhinite allergique
Un des gros facteur dans la forme de la mâchoire supérieure, c’est la position linguale. Mais pour agrandir le palais, elle doit être en position haute. Si on est allergique au pollen, aux chats, aux acariens… on a le nez plein et on ventile par la bouche. La langue alors basse ne peut pas creuser le palais osseux.
Vous êtes-vous déjà fait la remarque que tous le monde semble avoir besoin d’antihistaminiques depuis quelques années? Je sais que moi, je me suis fait la réflexion.
Vous n’êtes pas fous!
La prévalence des rhinites allergiques, ou inflammation de la muqueuse nasale causée par une réaction allergique, a considérablement augmenté dans les dernières décennies. Cette hausse est étroitement liée à l’exposition accrue aux allergènes environnementaux, qui sont devenus plus répandus en raison de divers changements dans nos modes de vie et notre environnement.
Facteurs de l’augmentation de la prévalence des rhinites allergiques :
- Pollution atmosphérique : L’augmentation des niveaux de pollution (polluants industriels, gaz d’échappement, particules fines) est un facteur important de la hausse des allergies respiratoires. La pollution irrite les voies respiratoires et les rend plus sensibles aux allergènes, rendant les symptômes de la rhinite allergique plus fréquents et plus intenses.
- Changements climatiques : Le réchauffement climatique contribue à allonger les saisons de pollinisation des plantes, en particulier des graminées, des arbres et des herbacées. Ces plantes libèrent du pollen, l’un des principaux allergènes responsables de la rhinite allergique saisonnière. De plus, la hausse des températures et le niveau accru de CO₂ augmentent la production de pollen, intensifiant les symptômes chez les personnes sensibles.
- Facteurs domestiques : Dans les environnements intérieurs, les allergènes tels que les acariens, les poils et les squames d’animaux, ainsi que les moisissures, contribuent également à l’augmentation des rhinites allergiques. L’urbanisation, associée aux bâtiments mieux isolés et ventilés artificiellement, crée des environnements où ces allergènes peuvent prospérer et s’accumuler.
- Mode de vie et exposition réduite aux microbes : La théorie hygiéniste suggère que la réduction de l’exposition aux microbes dans l’enfance peut perturber le développement du système immunitaire, le rendant plus susceptible de réagir de manière excessive à des allergènes bénins. Cette hypothèse est soutenue par des études montrant des taux plus faibles d’allergies dans les milieux ruraux où les enfants sont exposés à une plus grande diversité de microbes.
- Utilisation accrue de produits chimiques : Les produits ménagers et cosmétiques contiennent des substances chimiques et des parfums pouvant irriter les voies respiratoires et sensibiliser les individus aux allergènes. Des études montrent également que l’exposition à ces produits peut exacerber les symptômes de rhinite allergique.
Conséquences sur la santé et qualité de vie :
La rhinite allergique ne se limite pas à un simple inconfort. Elle peut aussi aggraver des troubles respiratoires comme l’asthme, et contribuer à des infections sinusales chroniques en raison de l’inflammation constante des voies nasales. De plus, elle entraîne souvent de la fatigue, des troubles du sommeil et des difficultés de concentration, réduisant ainsi la qualité de vie et la productivité.
En résumé, l’augmentation de la prévalence des rhinites allergiques est le résultat d’une combinaison complexe de facteurs environnementaux et de modes de vie modernes. Réduire l’exposition aux allergènes, améliorer la qualité de l’air et renforcer la résilience du système immunitaire pourraient atténuer ce phénomène croissant.
Les impacts de la respiration buccale
Respirer par le nez est un processus naturel essentiel, surtout chez les enfants. Lorsque ce mécanisme est perturbé dès le plus jeune âge, par exemple par une respiration par la bouche, cela peut altérer le développement des mâchoires et du visage, prédisposant aux ronflements et à l’apnée du sommeil à l’âge adulte.
Pour lire les articles que j’ai déjà rédigés sur le sujet:
La respiration buccale, un fléau digne de l’apocalypse
Respire par le nez, tu me fais peur!
Deux voies respiratoires, deux mesures
Les origines modernes de la malocclusion
Il est fascinant de constater que nos ancêtres, chasseurs cueilleurs, avaient des mâchoires spacieuses et bien alignées, sans les problèmes d’encombrement dentaire que nous connaissons aujourd’hui. Les anthropologues, comme le Dr Richard Klein de Stanford, n’ont trouvé que peu d’exemples de malocclusion dans les fossiles humains anciens. Ce n’est qu’avec la sédentarisation et l’évolution de nos habitudes alimentaires, notamment la transformation des aliments, que la taille et la force des mâchoires humaines ont commencé à décliner. En mangeant des aliments moins résistants, nos mâchoires et nos dents se sont progressivement modifiées, contribuant à l’augmentation des cas de malocclusion dans les sociétés modernes.
Vers une nouvelle approche de la santé bucco-faciale
Pour freiner l’augmentation des problèmes de malocclusion, il est crucial de surveiller et de corriger certaines habitudes dès l’enfance. Une attention particulière aux façons de mâcher, de respirer et à la posture buccale peut contribuer à un meilleur développement des mâchoires. Les recherches montrent qu’en adoptant quelques habitudes simples, comme la mastication d’aliments solides dès le plus jeune âge ou la respiration nasale, il est possible d’influencer positivement le développement du visage et des voies respiratoires.
Alors que le recours aux appareils orthodontiques devient courant, il est essentiel de repenser notre approche de la santé bucco-faciale et ce sont les orthophonistes qui rééduquent les fonctions des muscles oraux, périoraux et pharyngés.
Un message pour l’avenir
Les habitudes qui influencent notre santé bucco-faciale sont souvent simples à mettre en place, mais peuvent être facilement négligées dans nos modes de vie modernes. En adoptant dès aujourd’hui une approche plus attentive aux pratiques de respiration et de mastication, il est possible de limiter les conséquences de l’industrialisation sur notre santé bucco-faciale.
Marie-Emmanuelle Marchand, M. Sc., Orthophoniste
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